Chroniques de l'impossible (1)

Publié le par casquette

Pourquoi aller au cinéma de nos jours?

Pour expérimenter plus profondément le sens du  mot "mitigé"?

Ne ressort-on pas à chaque fois avec un goût dans la bouche qui donne envie de se laver les dents rapidement?
Un goût de carie. On se dit qu'on a mangé trop de sucre. Parce que le cinéma, maintenant, c'est neuf morceaux de sucre toutes les dix minutes; ça fait beaucoup. C'est un peu indigeste.

Alors on se console.
On se dit qu'il y avait de jolies images.
On se dit qu'on a ressenti un léger frisson, à un moment, peut-être que c'était un courant d'air dans la salle, mais peut-être bien que c'était le film... oui c'était sûrement le film.
On se dit, aussi, qu'il y a une blague, on ne sait plus trop quand, qui nous a fait sourire. Pas ouvertement nous marrer. Juste sourire, avec un brin de gêne.

Moi, j'ai bien senti, au fil des années, comment tout le monde avait revu ses goûts à la baisse. Comment on s'était habitués à apprécier tout et n'importe quoi, pour continuer à aller en salle.
Après tout, on a pris le pli de se divertir, c'est difficile de s'en détacher.
Qu'est-ce que je pourrais bien faire après le boulot? Quand je suis fatigué? Quand je m'ennuie? (boire) (baiser) (faire de la trigonométrie)... oh oh oh! Je sais! J'ai qu'à regarder un film (whaou) (brillante idée). Parce que ça ne me demande pas grand-chose. Je peux même faire autre chose en même temps. Je peux le laisser tourner en fond, comme la télé.

"ça fait une présence."

Vous sentez le côté petite vieille un peu?
Donc il y a une sorte de contrat qui s'établit, qui a le même goût frelaté que le fameux contrat social, entre vous et le film. Tu ne me demandes rien et je ne te demande rien, et on en reste là - en terrain connu.
Maintenant je ressens autant d'excitation à aller au cinéma qu'à partir bosser. Autant d'appréhension aussi.
Autant de conviction quand je suis obligé dans parler - parce qu'il y en a qui apprécient de remuer le couteau.

Après, on peut toujours trouver les fanatiques, qui sont prêts à défendre bec et ongles des navets tout juste médiocres pour des raisons obscures, pour s'accrocher, parce qu'ils ont peur du vide...
Et qui vous en foutent plein la gueule...
Qui vous demandent un investissement énorme rien que pour leur dire de se taire.

Il y a des années creuses, où il n'y a même pas un film à sauver.

L'industrie du cinéma compte sur vous, compte sur la fainéantise, la mollesse et la complaisance de tous - je ne parle même pas des journalistes qui sont sans doute nés comme ça - pour continuer de fleurir.

D'ailleurs elle trouve que vous n'allez pas voir assez de bouses.
Que vous ne raquez pas assez pour ça.
Qu'il faudrait payer plus pour qu'ils continuent à faire (mal) leur boulot.
Non seulement les mêmes recettes élimées, mais l'absence d'envie et de grâce: ça vous fait des gateaux au plâtre et il faut encore dire que c'est bon. L'industrie du cinéma, c'est la grand-mère gâteuse qu'on va visiter moitié par convention, moitié par acquis de conscience - elle fait partie de la famille, quand même! - qu'il faut flatter dans son monde qui se débine comme un cauchemar.

C'est toujours ça de moins pour les vraies grand-mères qui pourrissent dans l'inintérêt général de chambres forcloses mais proprettes.

Peut-être serait-il temps d'euthanasier l'industrie du cinéma. Ne plus participer du tout à ce déploiement glauque - pas même télécharger les signes de décrépitude.

Armand Zana.

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